L’objectif de ce chapitre est d’examiner les controverses publiques qui ont accompagné en Bulgarie la définition des lieux et moments de la « rupture » post-communiste : fallait-il dater les changements de 1989 ou considérer que, jusqu’en 1997, la Bulgarie n’avait connu qu’une illusion de transformation, une « transition » volée ? Ces luttes de qualification se sont notamment cristallisées à l’occasion des mobilisations sociales de janvier 1997 et des élections anticipées d’avril 1997, dont l’analyse sera au cœur de la réflexion. Là où la gauche (ex-communiste) a valorisé le rôle du renversement du dictateur, Todor Jivkov, en novembre 1989 dans sa mise en récit du post-communisme, l’Union des forces démocratiques (UFD, anti-communiste) et les acteurs sociaux ayant pris part à la mobilisation de janvier 1997 ont entrepris d’ériger les manifestations de janvier et l’élection, trois mois plus tard, d’une nouvelle majorité en « vrai » point de départ des réformes post-communistes. L’étude de ces « politisations du temps » (Paul Bacot, Laurent Douzou, Jean-Paul honoré) nous donnera ainsi à voir, à un premier niveau, le travail de construction de légitimité politique opéré par des entrepreneurs partisans sur la base d’interprétations contrastées tant des années postérieures à 1989 que du communisme lui-même. A un second niveau, elle éclairera les processus concomitants de réinscription du présent dans des historicités plus longues à travers des invocations de passés pluriels (le temps de la construction stato-nationale au XIXème siècle, l’entre-deux-guerres, etc.) dont la proximité et la distance par rapport au présent ont été à cette occasion réévaluées, faisant subir au temps de multiples pliures.