A la suite des travaux de Joseph Gusfiel, les approches qui s’intéressent à la carrière des problèmes publics mettent généralement l’accent sur la compétition entre des groupes sociaux qui tentent d’imposer une définition du problème qui soit conforme à leurs intérêts et à ce qu’ils considèrent devoir être fait pour y répondre. Les changements et les variations dans la définition des problèmes dépendraient alors de la capacité de ces groupes à agir sur cette définition en fonction de leurs ressources et du contexte dans lequel ils évoluent. Nous souhaitons ici prolonger cette réflexion tout en choisissant une autre entrée pour rendre compte des luttes définitionnelles qui marquent la carrière des problèmes. Cette entrée est celle des instruments et des techniques qui sont mobilisés dans le processus d’émergence et de définition des problèmes publics. L’usage d’instruments permet à la fois de représenter et de se représenter l’environnement, d’en réduire la complexité, ce qui autorise l’action, mais aussi d’affecter le sens attribuable aux situations. Ce sont ces effets de limitation et d’attribution de significations exercés par les instruments sur la définition des problèmes que nous souhaiterions interroger dans le cadre de cet article. Nous prendrons ici l’exemple des instruments de dépistage des drogues qui se sont massivement diffusés dans les entreprises américaines depuis vingt-cinq ans. En 1992, une étude de l’American Management Association (AMA) indiquait que le nombre de tests de dépistage réalisés avait augmenté de 250 % entre 1987 et 1992. En 1988, les employeurs ont testé 8 millions d’Américains, 13 millions en 1990 et 22 millions en 1992. En 1998, une étude estimait que les États-Unis dépensaient chaque année environ 1 milliard de dollars pour tester les salariés des secteurs privé et public. Quel sens donné à ce déploiement rapide et soutenu des instruments de dépistage dans les entreprises américaines ? Quelles situations justifient un tel engouement ? [Premiers paragraphes de l'article]