Postface. Désarmer, armer l'archive - Sciences Po Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2023

Postface. Désarmer, armer l'archive

Résumé

Lorsque les soldats du Front patriotique rwandais, armée issue de la diaspora tutsi en guerre contre le gouvernement en place, ont mis fin au génocide des Tutsi en juillet 1994, ils ont trouvé des corps en grand nombre, mais peu de documents pour comprendre ce qui avait rendu possibles de tels massacres. Le génocide a été, douze ans plus tard, « constaté » par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, comme « un fait de notoriété publique » qu'« aucune base raisonnable » ne permettrait à quiconque de « nier ». Au contraire du Tribunal militaire international de Nuremberg, qui a jugé les hauts responsables du III e Reich en s'appuyant sur une documentation abondante, ce tribunal, comme les autres tribunaux qui, au Rwanda ou en Europe, ont jugé le génocide des Tutsi, s'est appuyé surtout sur des témoignages. Si ce « constat » ne vaut pas preuve d'une organisation systématique, depuis le sommet de l'État, le génocide des Tutsi a été le génocide le mieux jugé par la justice pénale. S'il n'y a pas de documents d'État, il y a en effet toujours des traces : des corps qui attestent si on les retrouve et les examine, des rescapés qui parlent si on les invite à parler (et à la condition qu'ils n'aient pas trop peur ou ne soient pas affectés d'un trauma qui les condamne au silence). L'archive-le mot au singulier nous éloigne de l'image des brassées de documents organisées par l'institution-n'est donc pas la seule voie d'accès à la compréhension des mécaniques meurtrières des États ; l'ADN et la parole peuvent pallier son défaut. Et si l'archive de l'État répressif a été détruite, d'autres traces écrites sont conservées ailleurs. C'est l'un des intérêts de ce livre, qui interroge dans le même mouvement le contenu, le statut et la fonction des archives, de montrer le foisonnement des producteurs : diplomaties étrangères, bien sûr, mais aussi institutions académiques et militantes (comme la BDIC devenue La contemporaine), offices régulant l'asile, organisations non gouvernementales, personnes privées, Églises, syndicats, et même administrations des cimetières sont les coproducteurs de cette histoire de la répression dans le Cône Sud latino-américain tirée des archives. Souvent les gouvernements répressifs montrent un tenace refus d'archiver, et plus largement font d'importants efforts pour empêcher que cette répression soit connue et reconnue. C'est le cas des gouvernements militaires du Cône Sud latino-américain qui ont eu recours à la disparition forcée, pratique dont le principe même est de faire disparaître toute trace 1. D'autres voies que la pénalisation de l'archive peuvent être alors explorées. Les démocraties établies sur la base d'une négociation avec les régimes militaires ont souvent évité la justice pénale. Des commissions dites de vérité, concurrentes d'instances judiciaires souvent empêchées par des mesures d'amnistie, ont alors pu mobiliser le témoignage, en même temps que les archives des organisations de défense des droits humains. Ces commissions, dispositifs de démonstration plus que de probation, qui mettent l'accent sur le récit ému des
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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-04364018 , version 1 (26-12-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04364018 , version 1

Citer

Sandrine Lefranc. Postface. Désarmer, armer l'archive. Marie Cornu et allii. Archives des dictatures sud-américaines. Entre droit à la mémoire et droit à l’oubli, Presses universitaires de Nanterre, 2023, 9782840165279. ⟨hal-04364018⟩
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